C’est fait. Malgré une opposition quelque peu revigorée, Recep Tayyip Erdogan a été réélu à la tête de la Turquie. Après quinze ans de pouvoir, Erdogan sort vainqueur d’une élection qui lui confère un statut d’hyper président aux pouvoirs renforcés. L’opposition conteste les résultats du scrutin, lequel serait entaché de fraudes et manipulations.
En France, la réélection d’Erdogan à la tête de la Turquie a donné lieu à de nombreuses scènes de liesse. A Lyon, dès 20h et ce jusque tard dans la nuit, les défilés de voiture n’ont cessé sur la Presqu’île d’ordinaire si tranquille. Klaxon, drapeaux, hurlements, feux d’artifice ou encore fumigènes ont été utilisés par la communauté turque pour fêter la réélection du raïs. Des scènes identiques ont eu lieu à Strasbourg, Avenue des Vosges, devant le consulat de Turquie. Quelques 200 personnes ont bloqué l’avenue aux sons des klaxons, d’ « Allah Akbar » ou encore des messages de sympathie à l’endroit d’Erdogan. A Mantes-la-Jolie, à cette occasion, des heurts ont éclaté entre des turcs venus fêter la victoire d’Erdogan et des kurdes, lesquels accusent les premiers de les avoir provoqués (il existe encore des niais qui prétendent que la France n’est pas un pays multiculturel). D’autres villes, plus petites, ont également assisté au même spectacle comme Lons, dans le Jura ou encore Flers, dans l’Orne.
Ces manifestations de joie posent de nombreuses questions au-delà du trouble à l’ordre public et des nombreuses infractions. Ces élans communautaires, que l’on constate partout en France, disent énormément de ce que devient notre pays : une république multiculturelle qui n’est au mieux qu’une généreuse donatrice, au pire une mère que l’on abandonne par mépris et ingratitude.
La première constatation est qu’en France, l’élection d’un homme qui instaure un régime toujours plus dictatorial est fêtée bruyamment par des milliers de citoyens français et turcs. Dans la foulée, il est très inquiétant de constater qu’Erdogan est extrêmement populaire dans la diaspora turque, et la France ne fait pas exception. Le saccage des kiosques qui affichaient la fameuse une du point « Le dictateur » en atteste de même que le résultat du référendum sur la constitution turque, largement favorable à l’exercice des pleins pouvoirs par Erdogan, pour lequel 65% des turcs de France ont voté favorablement contre 51,4% sur l’ensemble de la Turquie. Il en de même de cette élection : 65,3% des turcs de France ont voté pour Erdogan. Il existe une communauté, en France, qui fête l’élection d’un homme qui envisage de criminaliser l’adultère et qui considère que l’égalité hommes-femmes est « contre-nature ». Il existe une communauté, en France, qui fête l’élection d’un homme qui entretient un double-discours vis-à-vis de l’Islam radical et dont le pays a indéniablement constitué un soutien militaire et financier pour l’Etat Islamique. Il existe une communauté, en France, qui fête l’élection d’un homme qui a dit : « Les mosquées sont nos casernes, les coupoles nos casques, les minarets nos baïonnettes et les croyants nos soldats ». Ce qui est dramatique c’est, qu’en France, puisse exister une communauté qui porte aux nues des valeurs qui sont en tous points opposés à celles que porte notre République.
La seconde constatation découle de la précédente. Cette démonstration de joie à l’endroit du régime autoritaire turque montre l’évident rejet de la France, de sa culture, de ses valeurs et de son histoire. Comment peut-on exalter un homme et une nation dont les valeurs sont profondément opposées à celles du pays dans lequel on vit ? Il y a là une forme d’incohérence et on ne peut que soupçonner un intérêt de cette communauté à téter goulûment les mamelles généreuses de la France tout en lui mordant férocement le pis à travers ce que je considère comme une félonie ingrate. Si Erdogan et ses valeurs humanistes suscitent tant l’enthousiasme de la communauté turque, il n’y a rien qui ne retienne cette dernière. Celles et ceux qui ont défilé étaient des turcs, des français et des binationaux. On peut évidemment s’inquiéter que des citoyens français puissent à ce point chérir des valeurs aussi différentes et dangereuses pour l’avenir de la France. Mais la question de la binationalité doit également être posée. Il est tout à fait compréhensible qu’à la faveur des circonstances d’une vie (naissance dans un autre pays, mariage, nationalité des parents…) on puisse avoir deux possibilités. Mais, si abondance de droits ne nuit pas, la binationalité confine à l’iniquité pour 95% des citoyens qui ne sont « que » français. Tout d’abord, la possibilité de la binationalité décrédibilise la nationalité française. Etre français n’est pas une option qui confère des droits. C’est un choix raisonné qui postule l’amour de la France, l’amour de sa culture, de sa langue, de son peuple et la connaissance de son histoire. Par sa générosité et par les droits qu’elle confère, la France doit faire l’objet d’un choix (à la majorité par exemple). Avoir la possibilité d’élire deux présidents est une aberration autant qu’une forme d’iniquité. Je confesse jalouser un binational qui a, de fait, plus de droits, plus de possibilités de se réfugier en cas de guerre, mais aussi plus de facilités à retourner sa veste que le mono-national que je suis. J’estime également que partager sa nationalité relève de l’adultère. Il est temps de revenir sur ce principe tant il n’est pas acceptable que des citoyens français binationaux puissent cracher sur les valeurs du pays dans lequel ils vivent et qui leur donne tant, tout en adoubant les valeurs de leur deuxième pays pourtant en tous points opposées.
La troisième constatation est que la France est désormais incapable d’offrir un idéal construit autour d’un projet commun. Parmi celles et ceux qui ont manifesté leur joie après la victoire d’Erdogan, combien habitent-en Turquie ? Combien s’y rendent au moins une fois par an ? Combien s’y sont sont même déjà rendus ? La réalité est que notre société relativiste et multiculturelle érige désormais l’exaltation des identités et des origines en valeur universelle. L’identité commune, républicaine et assimilationniste est désormais honnie au nom d’un néo-colonialisme xénophobe. Or l’universalisme de notre culture française a permis l’intégration de générations entières d’immigrés portugais, polonais, italiens, espagnols ou encore vietnamiens (et ce en dépit d’une culture tout à fait différente). Au nom du « droit à la différence » et du vivre-ensemble, l’autre est considéré comme bon par nature tant il se différencie de cette identité française rance qui empeste les heures les plus sombres de l’histoire. Notre culture française est désormais déconstruite ou plutôt détruite tant elle n’est modifiée, ni même remplacée. Ainsi la culture de l’autre, bon par nature, remplit un vide. Pour les nouvelles générations d’immigrés, s’associer à la culture française, l’aimer, se saisir de son identité devient un signe de trahison. De sorte qu’il en émerge un besoin de fantasmer sa culture d’origine en la revendiquant comme un étendard. Le droit à la différence se mue en « devoir de différence ». L’observation la plus saisissante que l’on puisse faire, c’est que les jeunes citoyens d’origine turque, qui ont manifesté leur joie à la suite de l’élection d’Erdogan, n’ont pas grandi hors de notre sol. Ils sont pour la plupart nés en France. Ils ont effectué leur scolarité en France. Ils ont étudié en France. Pour autant, ils ont volontairement pris un autre chemin culturel.
Comment peut-on faire aimer la France et comment peut-on construire un idéal autour d’elle lorsqu’on enseigne à longueur de temps qu’elle n’est qu’un pays colonial ; que sa culture est porteuse de stéréotypes sexistes et xénophobes ? Comment peut-on enseigner son histoire de manière aussi partiale et partielle ? La traite négrière occidentale est vue en long, en large et en travers quand la traite arabo-musulmane n’est peu ou pas abordée. Christiane Taubira avait d’ailleurs confessé qu’il ne fallait pas trop évoquer la traite arabo-musulmane afin que les « jeunes arabes ne portent pas sur leur dos tout le poids et l’héritage des méfaits des arabes ». S’agissant du petit blanc bérichon, aucun état d’âme. Collons-lui sur le dos le poids de la colonisation et de l’esclavage que pourtant, à peu près tous les peuples du monde ont pratiqué à un moment ou à un autre de leur histoire.
L’injonction du vivre-ensemble » est une supercherie pour trois raisons. La première est que de fait, nous vivons ensemble. Et à vrai dire, nous n’avons pas vraiment le choix. La deuxième est que le refus du vivre-ensemble doit être une possibilité. Si je n’ai pas envie de vivre avec des peuples dont je ne partage ni la culture, ni les mœurs, ce devrait être mon droit le plus strict. Cela ne m’empêcherait pas pour autant de leur témoigner du respect. Sous le prétexte de défendre les libertés individuelles, cette injonction du vivre-ensemble instaure un totalitarisme collectif qui n’est pas sans rappeler ces quelques mots du Contrat social de Rousseau : « Afin donc que le pacte social ne soit pas un vain formulaire, il renferme tacitement cet engagement qui seul peut donner de la force aux autres, que quiconque refusera d’obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps : ce qui ne signifie autre chose sinon qu’on le forcera d’être libre ». La troisième supercherie est que cette haine de soi, qui dévore notre culture française, ne permet plus l’identification du peuple français « old school », comme dirait Michel Onfray, à une culture commune. De sorte que le vivre-ensemble se transforme en vivre-avec. Or comment vivre avec des peuples dont la culture est aussi différente, voire franchement opposée ? Les manifestations turques, suite à la victoire d’Erdogan, montrent à quel point le pays est divisé, voire franchement opposé d’un point de vue des valeurs à défendre. Elles montrent également que cette détestation de la culture française génère une identification à ce qui constitue précisément son antinomie la plus stricte : une théocratie islamiste, autoritaire et expansionniste.