Retrouvez l’intégralité de ce texte dans HOMO DOMINATUS ou l’imposture néo-féministe disponible ici.
L’article consacré au moralisme libertaire nous a montré deux choses. La première est que le néo-féminisme n’aime pas la séduction ; considérée comme l’art de duper ou de maquiller la vérité, la séduction serait un inégalitaire rapport de force dont la victime serait nécessairement la femme. La deuxième chose est que le néo-féminisme n’entrevoit aucune relation entre les hommes et les femmes sans un consentement libre, éclairé, clairement mentionné et motivé par les deux parties – ce qui va à l’encontre de la réalité des rapports de séduction, faits d’équivocité et d’ambivalence. Pour la femme, l’homme n’est plus seulement son semblable, ou plutôt son identique, il est davantage son ennemi. La culture américaine du sexual harassment ayant franchi les océans, dorénavant, toutes les femmes sont des victimes potentielles. De là la nécessité pour le néo-féminisme de les protéger en construisant un cadre de plus en plus moral et légal avec la complicité des associations, médias et politiques. Ce climat de tension permanente n’est évidemment guère propice à l’apaisement, bien au contraire. Par conséquent, réconcilier les sexes passe par un profond changement de modèle.
En premier lieu, c’est un autre regard sur la séduction qui doit être porté : un regard lucide qui tient compte des différences entre les hommes et les femmes. Traditionnellement la séduction est perçue comme un outil de satisfaction du désir. Si cette personne me plaît, je vais essayer de la séduire pour tenter d’obtenir ses faveurs. Mais comme le pense le philosophe Gilles Lipovetsky, la séduction n’est pas un outil, comme on le pense, mais « la condition du désir ». Lorsqu’on désire une personne, c’est parce qu’on est avant tout séduit par elle. De la même manière, c’est parce que l’on est séduit par quelqu’un que le désir va naître, et que l’on va entreprendre quelque chose ou entrer dans le jeu de séduction. En d’autres termes, la séduction précède le désir. Deux constats permettent d’illustrer ce schéma. Le premier est qu’en matière d’adultère, hommes et femmes ne cherchent pas le sexe pour le sexe. Ils cherchent avant tout le plaisir du jeu de séduction, lequel va conduire au désir et enfin déboucher sur l’acte sexuel. Le second est qu’étant la condition du désir et non sa conséquence, la séduction peut ne plus relever de l’intention, de sorte qu’on peut séduire involontairement. Ce n’est pas un hasard si les grands séducteurs sont bien souvent ceux qui ne cherchent pas à séduire.
La lecture de la notion de séduction que nous venons de faire met en échec la vision néo-féministe de la séduction comme un rapport de tromperie. Si la séduction ne relève pas nécessairement de l’intention, si elle est indépendante de la notion de désir, dès lors, elle ne procède pas obligatoirement d’un insupportable jeu de dupe. De plus, dans une perspective où le désir est motivé par la séduction, l’hypothèse d’un consentement libre et éclairé pour entrer dans le jeu de charme passe nécessairement par son acceptation avant que celui-ci ne débute. Dit autrement, il est nécessaire d’entrer dans le champ de l’autre, de forcer un verrou en quelque sorte, avant même d’intéresser la personne que l’on cherche à séduire. Si le consentement doit être donné avant que ne débute le processus de séduction, il ne peut naître aucun désir. Dès lors, aucune interaction n’est envisageable entre les sexes en dehors d’un cadre contractualisé et formalisé[1]. Aucune spontanéité n’est plus alors possible.
Comment résoudre cette épineuse question du consentement ? C’est à une ambitieuse réforme des mœurs qu’il faudrait s’atteler, avec pour aspiration de transformer les nouveaux goujats en gentlemen. Ce serait un appel au retour du monde d’avant, honni des néo-féministes, qu’il faudrait lancer. En en polissant bien sûr les aspérités ; en premier lieu celles qui faisaient des femmes des objets, non des sujets. Les progrès en matière d’équité entre les hommes et les femmes devraient contribuer à cette révolution des mœurs, et ce dans l’intérêt d’un apaisement des relations entre les sexes. C’est une nouvelle éthique de la galanterie qu’il faudrait dessiner en conservant à la fois les vestiges de la chevalerie, mais également en y ajoutant les progrès du féminisme historique.
Le philosophe David Hume, entre autres, justifiait la galanterie au nom de l’infériorité du sexe féminin. C’est une objection régulièrement formulée par les néo-féministes, qui considèrent que la galanterie serait une forme de sexisme bienveillant autant qu’un prolongement de la dictature patriarcale, en ce sens qu’elle confinerait les femmes dans la persuasion qu’elles ont d’elles-mêmes d’être inférieures aux hommes. Dans le même temps, la galanterie perpétuerait le sentiment masculin de toute puissance. Or la galanterie, ou plus précisément, l’éthique nouvelle de la galanterie, que j’appelle de mes vœux, procéderait non d’un sentiment fantasmé de supériorité, mais bien d’un mécanisme d’abnégation et de don de soi. Pour autant, ne balayons pas d’un revers de la main, l’objection néo-féministe, inspiré par le point de vue de Hume que nous venons d’exposer. Le retour de la tradition galante doit s’opérer en même temps que la reconnaissance des différences parfaitement complémentaires entre les sexes, ne justifiant ainsi en aucun cas un quelconque sentiment de supériorité. L’amour courtois en constitue les prémices. Apparu au XIIème siècle, cette tradition chevaleresque avait pour objet de valoriser et d’honorer la femme. L’amour courtois célébrait un code moral de séduction qui avait pour particularité d’instaurer une relation dans laquelle l’homme se présentait comme le vassal de la femme. Si l’homme devait montrer du respect et du dévouement pour séduire, c’est la femme qui acceptait ou non d’accorder ses faveurs. Ce code d’honneur de la séduction devait perdurer dans la vie conjugale de sorte que le chevalier continuait de mériter l’amour de sa femme. L’amour courtois était une tradition de la haute société. Du reste, il réapparaît au XVIIème siècle, avec la Renaissance, sous la forme de la culture galante.
La galanterie suppose que l’homme exclut, de son comportement de séduction, toute forme de grossièreté, de vulgarité, de coercition, d’agressivité ou de violence. De sorte qu’il n’appartient pas à l’homme de prendre, mais simplement d’accepter ce que la femme veut bien lui donner ; ce qui ne peut résolument pas faire de lui un prédateur. La galanterie est une façon pour l’homme de se mettre à genou en honorant la grandeur de la femme qu’il séduit. Madame de Rambouillet disait de la galanterie qu’elle permet de « débrutaliser » les hommes. La tradition galante ne s’arrête pas au rapport de séduction. Ce n’est pas seulement à la faveur de son aspect physique que l’homme entreprend de se comporter galamment auprès d’une femme. C’est aussi et surtout parce qu’elle n’est pas lui, elle n’est pas un homme, elle est différente. Cette différence, cette altérité, s’honore par le respect et la déférence. Ce n’est pas un hasard si notre tradition de la galanterie a été admirée à l’étranger pendant des siècles, autant que reconnue comme un élément fondamental de la culture française. La galanterie est universelle et due à toutes les femmes, quel que soit leur âge, leur appartenance religieuse ou leur statut social. Ainsi la galanterie n’est pas réductible à la courtisanerie. La tradition galante revient à rendre hommage à une jeune femme comme à une moins jeune, de sorte « qu’elle atténue, par ses attentions et ses artifices, la dureté de l’être » comme nous dit Alain Finkielkraut dans En terrain miné[2]. Un peu plus loin, il poursuit : « la galanterie est ce semblant, ce léger mensonge, ce presque rien qui pimente l’existence et qui la civilise ». On peut légitimement se demander où se trouve la goujaterie dans tout ça. Ce que la galanterie doit à tout prix éviter, c’est la hiérarchisation des sexes. En dehors de ce piège dans lequel on ne saurait tomber, la conquête de l’autre n’est pas un mal. Elle est au contraire une nécessité tant pour la préservation de la vie que pour l’intérêt propre de celle-ci. Ce n’est pas la conquête qui doit être abandonnée. C’est le respect de l’autre qui doit être enseigné, notamment à travers la tradition galante. Il est un fait que les plus jeunes générations n’ont absolument aucune idée de ce qu’est la galanterie. Les enfants grandissent dans l’idée que les garçons et les filles sont identiques, et que la galanterie n’est qu’un vestige hypocrite de la domination patriarcale. L’exaltation de la franchise, dans nos sociétés occidentales, en dit long sur un mode de vie qui annexe désormais toute notion de civilité. Nombreux sont les individus qui présentent la spontanéité comme leur qualité première : « je dis ce que je pense », « je suis entier » etc. En réalité cette spontanéité est confondue avec l’incapacité de réprimer son bouillonnement intérieur par la nuance. En matière de séduction entre autres, mais également dans les relations entre les hommes et les femmes en général, la galanterie permet de réprimer ce bouillonnement par l’attention, la bienveillance et la nuance.
S’agissant des générations futures, il y a tout à faire. Un changement de culture et de mœurs aussi bouleversant ne peut s’opérer qu’avec le temps long, non en quelques années. En matière d’instruction, bien que d’apparence anodine, la chose la plus importante est probablement l’enseignement de la langue française. La maîtrise du langage est une variable essentielle de la civilité et de la vie en société. Il en va de même des rapports de séduction. Or on peut établir le constat suivant. On enseigne aux jeunes générations que les garçons et les filles sont identiques. Comme nous l’avons vu, les filles sont ainsi aux prises avec des garçons qui ne les traitent plus avec déférence, puisqu’elles sont leurs exacts doubles. Elles sont alors sujettes à leur agressivité, voire leur violence. D’où vient cette violence ? La séduction passe par plusieurs canaux, le premier d’entre eux étant les mots, le vocabulaire. L’extrême pauvreté du langage et du vocabulaire des jeunes générations est un drame, tant pour les jeunes filles soumises à cette violence, que pour les jeunes garçons qui sont incapables de séduire, au moyen du discours, voire tout simplement d’être compris. Cette frustration est un élément clé pour comprendre l’agressivité des garçons, le harcèlement, voire le viol. De sorte qu’on peut faire le raccourci suivant : quand un homme n’est pas capable de se faire comprendre par les mots, il se fait comprendre par les coups.
« Le langage est une arme de séduction massive. Il est une inépuisable source d’enchantement pour la femme qui aime se contempler dans le miroir des mots » nous dit la philosophe Olivia Gazalé dans Je t’aime à la philo. Or comment parler à une femme, comment entamer un processus de séduction et se démarquer lorsqu’on ne dispose pas des armes linguistiques pour le faire ? Pour les jeunes hommes, tenter d’approcher une femme dans la rue, ou tout autre lieu public, et entamer un processus de séduction est une gageure tant le lieu nécessite de faire mouche par les mots le plus rapidement possible. C’est ici que l’instruction est fondamentale : par la maîtrise du vocabulaire, la stimulation de l’imaginaire, la culture, un homme est armé pour approcher une femme et exprimer ses intentions avec respect, élégance et discernement. Par-dessus tout, l’humour, fondamental, résulte bien souvent de la maîtrise des points précédents. Aucune femme, même peu encline à être séduite, ne saurait dire non avec le sourire à un homme qui l’aurait abordée avec respect, culture et humour. Dans cette perspective, la réhabilitation de nos œuvres culturelles classiques est urgente. Outre leur attrait purement linguistique, comment se passer de l’apport inestimable de Proust, Balzac, Stendhal, Maupassant ou Musset par leurs chroniques littéraires de la séduction galante de leur temps ? Les écrivains sont bien souvent de plus fins observateurs, notamment de la psychologie humaine, que n’importe quel sociologue. Dans l’apprentissage des rapports charnels entre les sexes, les aventures de Roméo et Juliette, Ariane et Solal, Chimène et Rodrigue, ou encore celles de Roxane et Cyrano, de Julien Sorel et Mme de Rênal ou de Mme Bovary offrent d’excellents atouts réflexifs dans la construction de soi au-delà du simple enrichissement culturel.
C’est un tout autre chemin que nous empruntons. La culture à l’école disparaît toujours davantage au profit d’un enseignement de plus en plus connecté. La mort programmée du latin, les réformes successives de l’orthographe et l’utilisation du présent de narration au détriment du passé simple appauvrissent notre langage. L’exigence de vocabulaire que nécessite l’art de la séduction est plus que jamais en péril. Or le langage est l’arme de la civilité comme de la séduction.
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[1] D’où l’attrait toujours plus grand pour les sites et applications de rencontres qui sécurisent et formalisent le consentement en amont du processus de séduction. D’où également le rejet de la drague vécu bien souvent comme une agression.
[2] Alain Finkielkraut. En terrain miné. Stock. 2017.