Auteur : Schlomo Sand
Date de publication : 2008
Synthèse :
Le livre de Schlomo Sand consiste en une historiographie, c’est-à-dire l’histoire de l’histoire du peuple juif. Sand réalise également une contre-histoire du peuple élu en déconstruisant son mythe fondateur, lequel aurait Israël pour terre commune et constituerait une ethnie.
Parce qu’elle nie farouchement l’idée d’un ADN commun qui aurait pour origine géographique la terre de Sion, la thèse de Schlomo Sand est particulièrement subversive en ce qu’elle fâche à la fois l’extrême-droite antisémite et les extrémistes sionistes. Selon Sand, la diaspora juive ne s’est pas tant formée à partir des vagues de persécution qu’aurait subies le peuple d’Israël, que d’un dynamisme démographique, spirituel et d’un prosélytisme aujourd’hui disparu.
Schlomo Sand commence par tenter de définir ce qu’est une nation. Est-ce un peuple ? Une ethnie ? Par quoi la nation se définit-elle ? Le langage ? L’histoire ? Dès le début, Sand met les pieds dans le plat et considère qu’aujourd’hui, les juifs ne constituent pas un peuple – selon l’acception moderne de ce terme – car ils ne forment pas un « groupe humain vivant sur un territoire spécifique où s’est développée une culture quotidienne commune à l’ensemble, de la langue parlée aux coutumes et modes de vie. » Sand poursuit en mettant en lumière le rôle des intellectuels dans la construction du sentiment national, notamment chez les juifs. Nombre de ces intellectuels ont construit l’idée phare du mythe de l’exil (Heinich Graetz par exemple) en considérant les écrits bibliques comme relevant de l’histoire. Cette lecture au premier degré a façonné un mythe qui a fondé le sentiment national chez les juifs. Ce mythe démarre par la fondation des douze tribus d’Israël par les descendants d’Abraham, en Palestine, lesquelles forment un peuple-race. Sous le règne de l’Empereur romain Adrien, à partir de l’an 135, les juifs sont victimes de persécution et dispersés. La diaspora est constituée des juifs de méditerranée, les sépharades ; et des juifs d’Allemagne puis d’Europe, les Aschkenazes.
Sand refuse ce mythe et propose plusieurs pistes de réflexion. Tout d’abord, de façon très pragmatique, la déportation de populations aussi importantes paraît peu probable : pas de train, pas de camion, des navires trop peu larges. L’expulsion des juifs est d’ailleurs économiquement peu profitable en raison de l’impôt qu’ils paient sur leur production agricole.
Avant même ce mythe de l’exil, des communautés juives existent déjà en Egypte aux temps de la première destruction du temple de Salomon en -586. La destruction du royaume perse par Alexandre Le Grand permet un resserrement des liens entre Judée et Egypte, et entraîne des vagues migratoires et démographiques en Méditerranée. Mais ces émigrés ne représentent que quelques milliers. Trop peu pour générer, en deux siècles, les quelques millions de juifs qui jalonnent la Méditerranée.
L’argument principal de Sand est la conversion. Ses travaux montrent que le judaïsme a été pendant très longtemps une religion prosélyte. Ce qu’on trouve d’ailleurs dans plusieurs écrits sacrés, notamment le Livre de Zacharie : « Et beaucoup de peuples et de nombreuses nations viendront chercher l’Eternel des armées de Jérusalem et implorer l’Eternel. Ainsi parle l’Eternel des armées. En ces jours-là, dix hommes de toutes les langues des nations saisiront un juif par le pan de son vêtement et diront : ‘Nous irons avec vous, car nous avons appris que Dieu est avec vous‘ ». Le judaïsme fait l’objet de nombreuses campagnes de prosélytisme par des missionnaires zélés, comme plus tard fera le christianisme. La dynastie des Hasmonéens, qui prend le pouvoir en Judée au cours de la révolte des Macchabées, impose le judaïsme à ses voisins. A Damas, les communautés juives, des plus en plus nombreuses, suscitent le rejet des populations locales. C’est sans compter l’intérêt des femmes de ces populations pour cette nouvelle religion. L’historien Flavius Josèphe rapporte que quand les habitants de la ville veulent massacrer les juifs y résidant, ils hésitent à le faire car « ils craignent seulement leurs propres femmes, qui toutes, à peu d’exceptions près, sont gagnées à la religion juive […] ». A Rome, des prêches sont menés. Puis la conversion implique de facto le reniement des Dieux de l’Empire. Par les conquêtes de Rome, le judaïsme infiltre la Gaule, les territoires slaves et allemands. En Afrique du Nord, l’expansion du judaïsme est due à une implantation d’une population d’origine phénicienne dont le prosélytisme perdurera.
Les entreprises de colonisation de la Judée donnent également lieu à de grands moments de conversion. Le plus grand vient des Khazars. Les Khazars sont un peuple semi-nomade turc d’Asie Centrale. Par un processus long, les Khazars font du judaïsme leur religion principale. Bulan, son roi, se convertit également, estimant que la solidification de l’Empire conquis est à ce prix – La conversion au catholicisme de l’Empereur romain Constantin au IVème siècle procède du même schéma. En se déplaçant vers le nord et l’Europe orientale, la thèse de Sand est que les juifs Aschkenazes seraient principalement des descendants des Khazars.
D’autres peuples comme les Hymiars, royaume antique situé au Yemen, organisent également d’importantes campagnes de conversion au IVème siècle.
Conclusion :
Le livre de Schlomo Sand est d’une rare érudition, fourmillant de détails et d’hypothèses parfaitement étayées. Sa thèse est évidemment provocatrice, mais elle ne l’est qu’en raison d’un discours dominant peu remis en question.