Sagesse – Michel Onfray

Auteur : Michel Onfray

Date de publication : 2018

Synthèse :

         Sagesse est le troisième volet de la Brève encyclopédie du monde. Après Cosmos consacré à la philosophie de la nature, Décadence consacré à la philosophie de l’histoire, cet ouvrage est consacré à la philosophie pratique. Et quel meilleur contexte que la Rome antique pour parler philosophie pratique ? Michel Onfray est un philosophe au sens romain du terme. Et il est souvent critiqué pour cela. On lui reproche de ne pas développer des concepts. On lui reproche de n’être qu’un commentateur opportuniste de la philosophie. On lui reproche de vulgariser à l’extrême et de trahir la pensée de ceux dont il se revendique. C’est mal le lire. Et c’est surtout ignorer ce qu’est être philosophe. Bien souvent, les auteurs de ces critiques sont de vagues idéologues, souvent de gauche, qui se sont piqués de concepts fumeux pour n’en retenir que quelques-uns, du cogito cartésien à l’habitus de Bourdieu en passant par l’existentialisme de Sartre. Et basta. Est-ce cela la philosophie ? SI c’est cela, c’est vanité. La philosophie, c’est littéralement l’amour de la sagesse. Il n’y a point d’appel à l’élaboration de fumeux concepts intellectuellement masturbatoires mais peu pragmatiques dans cette définition. Onfray n’a de cesse de le répéter : philosopher, c’est penser sa vie et vivre sa pensée (expression dont on doit, à mon sens, attribuer la paternité au philosophe André Comte-Sponville). N’est philosophe que celui qui mène une vie philosophique. C’est pour cela que Michel Onfray a préféré Rome à la Grèce pour étayer son propos. S’il accuse la patrie de Socrate d’être une boîte à gadgets, il célèbre Rome pour sa philosophie morale, simple, aux préceptes concrets et applicables. Au snobisme hellénique, il préfère l’humilité sage des latins. Un passage fort parlant du livre le montre très bien : « […] c’est comme connaître le miel sans jamais y goûter, juste par le ouï-dire d’un traité d’apiculture. Un grec aurait très bien fait ça d’ailleurs, le ouï-dire, et il aurait élaboré le concept de miellitude avant de faire carrière en monnayant sa trouvaille ; un romain aurait goûté, aimé ou non, il aurait tendu le rayon à son compagnon et se serait tu, avant de devenir miel tout entier sans en faire toute une affaire, mais en jubilant, sans mots, de cette pure présence au monde ». C’est cela être philosophe. Être présent au monde, ici et maintenant. La comparaison d’Onfray entre les philosophies latines et grecques est radicale. S’il ne fait aucun doute que les romains étaient avares en concepts, il est toutefois à relativiser le fait que les grecs ne s’épuisaient pas en philosophie morale. Michel Onfray s’est d’ailleurs souvent revendiqué des écoles cyniques ou épicuriennes dont les doctrines sont nées à Athènes. Mais Onfray est ainsi fait qu’il ne peut s’empêcher de tailler des costards et de fracasser les mythes. Sa contre-histoire de la philosophie ou encore son attaque nucléaire contre Freud ont montré par le passé qu’il n’était pas homme à se laisser griser par le discours commun. Et l’auteur de rhabiller pour l’hiver d’illustres figures comme Cicéron, Sénèque ou Marc-Aurèle, au prétexte que leurs vies personnelles n’auraient jamais été en accord avec leurs écrits. Penser sa vie et vivre sa pensée, toujours. Vaniteux, cupides et intolérants pour les uns, violents, ingrats et couards pour les autres, ces symboles de la pensée latine n’auraient plus voix au chapitre. Après tout, est-il primordial de déconstruire le mythe ? Que Cicéron n’ait guère mené la vie qu’il a prôné invalide-t-il pour autant la justesse de ses écrits ? Ne peut-on pas se délecter des Pensées pour moi-même de Marc-Aurèle et n’avons-nous plus rien à en apprendre au prétexte que l’Empereur romain ne fut pas le plus sage des Hommes ? Michel Onfray est ainsi. Il aime déconstruire les idoles et réhabiliter ou faire connaître de plus obscurs penseurs. Ainsi découvrirons ou redécouvrirons-nous des personnages oubliés ou méconnus tels que Mucius Scaevola, Caton l’Ancien, Catulle, Démonax ou encore Scipion Nasica. Ces noms ne vous disent rien ou très peu ? C’est normal. C’est la méthode Onfray. Si ces personnages ne sont pas des rockstars de la philosophie, ils ont tout de même beaucoup à nous apprendre. L’auteur nous les fait découvrir à travers les réponses qu’ils apportent à des questions aussi pragmatiques que la souffrance, la mort, l’amour, la vengeance ou l’amitié. Point de concept, mais des leçons de vie philosophique. Car c’est en premier lieu dans leur existence que nous avons beaucoup à apprendre, et ce bien avant leurs écrits.

         A mon sens, l’intérêt de Sagesse ne réside pas dans la découverte de ces tranches de vie exemplaires. L’intérêt de Sagesse réside dans un voyage formidable à travers une époque révolue. Une époque où le corps ne faisait guère l’objet des pires diabolisations. Où la spiritualité n’avait rien de mortifère. Où la morale que l’on s’appliquait répondait à un code d’honneur plus qu’à la spéculation d’un possible arrière-monde. Où l’on estimait que la vie n’avait d’intérêt qu’ici et maintenant. Où la dignité et le courage étaient des valeurs nobles. Où l’on pouvait racheter ses fautes par le recours au suicide, signe d’une maîtrise totale de sa vie et d’un sens aigu de l’honneur. Loin des idées reçues, on découvre une Rome ascétique, à mille lieues des orgies mondaines véhiculées dans l’inconscient collectif par d’abondantes littératures et fictions cinématographiques. En bref, Sagesse est un livre passionnant qui se dévore en quelques heures. S’il aurait pu être amputé de quelques passages peu convaincants, ce livre nous plonge au cœur d’une philosophie morale accessible et pragmatique, comme autant d’outils pour progresser  et surtout mieux vivre sa vie.

Victor Petit

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