Claire Nouvian ou la tyrannie des faits

Temps de lecture : 6 minutes.

       Cet article n’a nullement pour objet de revenir sur la polémique qui a ébranlé la sphère médiatique après le passage de Claire Nouvian à l’émission L’heure des pros, animée par Pascal Praud. Pour rappel, Claire Nouvian, militante écologiste, avait dénoncé le « guet-apens climatosceptique et misogyne » dans lequel elle prétendait être tombée. Sur la foi d’une vidéo largement relayée qui compilait les meilleures attaques qu’elle aurait subies pendant l’émission, Claire Nouvian pouvait alors traîner ses guêtres lors d’une campagne de victimisation parfaitement maîtrisée. Malheureusement, des internautes zélés ne manquèrent pas de diffuser la séquence en entier. On y découvrit Claire Nouvian particulièrement surexcitée, arrogante, méprisante, sûre d’elle et s’offusquant qu’on puisse lui présenter des contradicteurs (vidéos à la fin de cet article). Claire Nouvian fait partie de ces personnes qui ne débattent qu’avec des gens qui sont d’accord avec elles. Le débat s’apparentant alors davantage à une forme de partouze masturbatoire égotique ou l’on peut à loisir s’adonner à ce que Roger Lichtenberg Simon appelle le narcissisme moral, c’est-à-dire la conviction revendiquée d’œuvrer pour le bien d’autrui et pour un meilleur avenir, le progressisme en somme.

61371832_419220038661011_2640143455145164800_n.pngL’objet de ce papier est davantage de revenir sur le passage de Claire Nouvian à l’émission Les Grandes Gueules et plus précisément sur cette phrase qu’elle prononça à cette occasion : « Je suis rationnelle. Je regarde les faits. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose pour notre démocratie de traiter les opinions au même niveau que les faits ! » Car il y a un problème dans cette idée. C’est précisément que les faits ne disent rien. C’est le principe des faits. A la limite même pourrions-nous estimer que les faits disent moins que les opinions qui, elles, peuvent faire l’objet d’argumentations et de contre-argumentations. Les faits sont bruts et relatifs. Nietzsche disait d’ailleurs : « Il n’y a pas de fait. Il n’y a que des interprétations ». Aux chroniqueurs de l’émission L’heure des pros, Claire Nouvian avait hurlé ceci : « Allez-vous cultiver scientifiquement ». Pas de doute, c’est le cas de le dire, Claire Nouvian est sure d’elle. Mais, en refusant de placer les opinions à l’épreuve du doute au profit des faits, Claire Nouvian nous dit deux choses. La première est qu’elle devrait aller se cultiver philosophiquement. Et la deuxième est qu’elle devrait aller se cultiver historiquement…

 

L’amour de la sagesse Claire :

       Commençons par la philosophie avec Descartes. Dans sa Première méditation métaphysique, Descartes nous dit que nos sens nous trompent en prenant l’exemple du bâton qui, à moitié immergé dans l’eau, semble rompu. En tant que tel, le bâton paraît  en effet cassé. Descartes nous prévient : « Il est de la prudence de ne jamais se fier entièrement à ceux qui nous ont une fois trompé ». En dépit des faits que nous observons, notre perception sensible de la réalité peut être trompeuse. Ici, le fait que le bâton paraisse rompu à nos yeux ne dit rien a priori de l’illusion d’optique qu’il figure. Dans la Deuxième méditation métaphysique, Descartes considère que ce ne sont pas tant nos sens qui nous trompent que l’interprétation que l’on en fait. En conclusion, Descartes nous montre que les faits ne disent rien et sont entièrement soumis à notre volonté, ce qui implique que le scientifique doive développer cette faculté inhérente à sa discipline : le doute.

      Poursuivons avec le philosophe anglais David Hume, éminent critique de l’empirisme (théorie scientifique qui a pour but de consacrer l’expérience sensible comme l’origine de toute connaissance scientifique – entre autres) et notamment de l’induction dont le raisonnement propose d’établir des lois et connaissances en vertu de l’observation des faits sur une base probabiliste. En clair : j’observe que l’eau bout à 100 degrés. Renouvelant 20 fois l’expérience, j’observe que l’eau bout toujours à 100 degrés et en déduis cette loi définitive que « l’eau bout à 100 degrés ». David Hume nous fait remarquer que oui, l’eau bout à 100 degrés dans les seules conditions possibles qui font que l’eau bout à 100 degrés. Pour que cette affirmation soit scientifiquement certaine, encore faudrait-il que toutes les conditions possibles et imaginables puissent être testées validant à chaque fois le même résultat que l’eau bout à 100 degrés. Or, on sait qu’en altitude, l’eau bout à moins de 100 degrés en raison de la pression atmosphérique. On sait également que l’eau bout à plus de 100 degrés lorsqu’y est ajoutée du sel. En bref, les faits bien qu’observés de manière régulière ne disent rien. Hume considérait même la science comme une religion, ce qui au XVIIIème siècle témoignait d’une certaine témérité. Du reste, la vision sceptique de Hume est un appel particulièrement percutant à l’humilité par l’épreuve du doute.

       Terminons avec Karl Popper, philosophe du XXème siècle. Popper nous dit que pour distinguer la connaissance scientifique de l’idéologie, la théorie scientifique doit être falsifiable. C’est-à-dire que la méthodologie de cette théorie doit inclure la possibilité que celle-ci puisse être réfutée. La réfutation peut même parfois constituer le point de départ de la théorie. A titre d’exemple, pour démontrer l’existence d’une étoile, les scientifiques s’échinent en premier lieu à déterminer la possibilité de sa non-existence, ce qui a pour objet d’évacuer tout biais idéologique. Or tout discours rejetant la possibilité de la falsifiabilité de la théorie par la disqualification a priori de celui-ci rend compte d’un biais idéologique. Claire Nouvian traite ses contradicteurs d’imbéciles incultes et de négationnistes (terme utilisé également par Martine Aubry à l’encontre de Pascal Praud dont la terminologie fait explicitement référence à la Shoah, ce qui est particulièrement abject). Ce qui rend impossible toute forme de contradiction. Là encore Claire Nouvian, qui se targue d’être cultivée scientifiquement, rejette toute forme d’opinion divergente par l’insulte et le chantage à la bêtise, ce qui n’a rien à voir avec une quelconque démarche scientifique.

  Entendons-nous bien. Je ne m’estime pas climatosceptique, loin s’en faut. Je demeure toutefois sujet au doute (nous sommes d’ailleurs passés du « réchauffement » au « dérèglement » climatique sans pallier de décompression) et considère qu’une opinion divergente est toujours l’occasion d’une remise en question argumentée, soit l’exercice de l’intelligence. Contrairement à Claire Nouvian, je ne tiens pas les faits en plus haute estime que les idées (même arrêtées) tant ils ne disent rien de plus que les paroles qu’on veut bien leur attribuer.

 

Les leçons du passé Claire :

         Poursuivons avec l’histoire. Pour rappel, Claire Nouvian considère que seuls les faits doivent être observés. C’est ce que pensait Aristote dont la théorie des quatre éléments (eau, air, terre, feu) qui expliquait le monde convoquait la vérité factuelle des sens pour se justifier. Un siècle auparavant, Démocrite postulait que l’univers était constitué de vide et d’atomes (du grec ancien atomos qui signifie insécable) sans le concours d’un microscope mais par le seul raisonnement, bref par l’opinion…

     Aristote, encore lui, considérait la Terre comme fixe par la simple observation sensible et factuelle (si la terre tournait, la pomme ne tomberait pas de manière parfaitement verticale, mais décalée de son point de départ en vertu du mouvement rotatif de la Terre). Pour autant, les faits lui donnaient tort. Aussi, observant le mouvement rotatif des étoiles dans le ciel, de manière factuelle, Aristote (toujours lui) et Ptolémée avaient conclu que le soleil tournait autour de la Terre (et la logique pourrait ne pas les contredire). Copernic, Giordano Bruno (qui a péri sur le bûcher), Galilée (assigné à résidence et condamné à abjurer) sont allés au-delà des faits observables et observés par Aristote et Ptolémée par l’opinion raisonnée, et ce au péril de leur vie. Les opinions (argumentées et non délirantes, cela va de soi), sont toujours l’occasion d’une remise en question comme d’une solide argumentation.

*

    En bref, contrairement à ce que pense Claire Nouvian, le rejet systématique et catégorique de toute opinion invalidant la théorie basée sur la seule observation des faits va précisément à l’encontre de la démarche scientifique. Avant de donner la leçon, Claire Nouvian devrait savoir que les grands scientifiques de l’histoire sont bien souvent de sémillants épistémologues (il suffit d’écouter le brillant Etienne Klein pour s’en convaincre), ce qui est loin d’être son cas.

        Se cultiver scientifiquement, c’est bien. Se cultiver tout court, c’est mieux.

Victor Petit

 

Le montage de l’émission de Praud, puis la séquence dans sa totalité :

3 commentaires

  1. Je suis d’accord avec ta conclusion. A son corps défendant, même si ce n’est pas le sujet de ton billet, la pauvre Claire Nouvian a apparemment été piégée. On l’avait invitée pour des raisons bien précises, et le sujet n’a pas été effleuré. Au lieu de ça, on l’a cherchée sans vergogne ni nuances. Un peu comme si on m’avait invitée sur un plateau pour parler de la place de l’Astrologie dans une démarche de développement personnel et que le premier truc qu’on me disait c’était : « Avouez Ornella, l’astrologie, c’est de la merde ! »

    Elle n’a eu aucun sang froid et faut qu’elle bosse là-dessus, elle s’est complètement laissée dépasser par ses émotions et ça a engendré des inepties. Peut-être qu’elle se cultive aussi de façon générale. Mais sur le moment, son champ de vision s’est réduit à son prédateur et à trouver comme survivre dans cette situation. C’est pas de chance, parce que sa crédibilité en prend un coup, et ça rend grâce aux horreurs prononcées par le le mode de pensée contraire.

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  2. J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte et blog très intéressant. Je reviendrai m’y poser. N’hésitez pas à visiter mon univers. Au plaisir.

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