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« Comment vous êtes-vous rencontrés ?
_ Un vrai scénario hollywoodien. Nous nous sommes rencontrés complètement par hasard ».
Le hasard fait bien les choses. Parfois. Le hasard est dans ces nuages qui tournoient dans le ciel et prennent des formes étranges ou équivoques, que les enfants commentent au gré de leurs malicieuses divagations estivales. Le hasard est dans ces gouttes de pluie qui s’écrasent sur le sol de façon miraculeusement aléatoire. Le hasard est dans ces rencontres imprévues, de celles qui nous bouleversent et nous marquent en ce qu’elles sont autant de failles dans la structure tectonique de nos vies, lesquelles semblaient pourtant marquées par une inévitable et confondante monotonie. Foutaise ! Le hasard n’existe pas. A tout le moins est-il relatif. Pour le démontrer, voici une petite histoire.
Le hasard d’une rencontre :
Lucie et Arnaud sont en couple depuis quatre mois. Ils sont amoureux, envisagent de s’installer ensemble et font la tournée des amis pour s’officialiser mutuellement. Invariablement, la question finit toujours par se poser. « Comment vous êtes-vous rencontrés ? » Et les deux tourtereaux de se regarder niaisement, les fossettes creusées par la fierté et les phéromones avant de conter leur histoire. C’était un samedi matin de mars. Comme à son habitude, Lucie se rendait à son cours de crossfit chez Basic-Fat, sa salle de sport préférée. Au croisement d’une rue, elle heurta un beau et sémillant jeune homme, Arnaud, lequel se rendait à la bibliothèque pour travailler sur « L’avantage pionnier », sa thèse d’économie. Arnaud, les bras chargés de livres et de dossiers chut lamentablement à terre. Lucie tomba également, avec davantage de grâce. Ils se relevèrent, échangèrent quelques mots d’excuse, pleins de confusion. Arnaud, dont l’humilité était restée au sol, trouva néanmoins le courage d’inviter la jeune femme à boire un verre. Lucie accepta et tous deux se revirent le soir-même. Ainsi démarra cette belle histoire d’amour dont le hasard est désormais considéré comme le grand metteur en scène.
Le hasard ? Vraiment ?
Maintenant revenons au jour de cette rencontre, et imaginons un homme, ou une femme. Disons une sorte de démiurge, placée en hauteur de la ville, comme lévitant au-dessus des immeubles. Le démiurge sait que jamais Lucie ne rate son cours de crossfit du samedi matin, à 8h30 précise. Il sait tout autant que, devant rendre sa thèse d’économie dans un mois et demi, Arnaud se rend tous les dimanches matin à la bibliothèque, laquelle se situe à environ cent mètres de la salle de sport. Or ce dimanche, la bibliothèque est exceptionnellement fermée. Arnaud décide d’y aller le samedi, à l’ouverture en lieu et place de son habituelle visite dominicale. Le démiurge constate que les futurs amoureux habitent à l’opposée l’un de l’autre, mais parce que la rue des rosiers est fermée pour cause d’un important déménagement dans un immeuble, Lucie devra emprunter le Passage des quatre-chemins qui débouche sur la rue Pierre Brossolette. Cette rue Pierre Brossolette dont les travaux de voirie et d’assainissement condamne qui veut l’arpenter à emprunter le trottoir côté chiffres impairs. Ce qui la conduit inévitablement sur l’avenue Mendès-France qu’habite Arnaud. D’en haut, tandis qu’il observe Lucie progresser dans ce dédale de rues, le démiurge regarde le jeune homme se diriger sereinement, pas à pas vers son destin. Les deux jeunes gens avancent, l’un vers l’autre, inévitablement. La collision est là, sous les yeux du démiurge et il le savait. Pourquoi ? Parce qu’il savait que la bibliothèque était fermée ce dimanche et qu’Arnaud avait prévu de s’y rendre le samedi, à l’ouverture ; parce qu’il savait que Lucie se rendrait, comme d’habitude, à son cours de crossfit chez Basic-Fat ; parce qu’il savait que la rue des rosiers était fermée en raison du déménagement de la Chambre d’Agriculture ; parce qu’il savait que les travaux d’assainissement de la rue Pierre Brossolette condamnaient les piétons à utiliser un seul des deux trottoirs, lequel débouchait sur celui d’où précisément venait Arnaud, habitant du 21 de l’Avenue Mendès-France.
Le hasard, notre ignorance :
Pour Lucie et Arnaud, leur rencontre tient du merveilleux hasard. Pourquoi sont-ils sûrs que leur rencontre relève de la plus mystique providence ? Tout simplement parce qu’ils ignorent parfaitement ce qui a déterminé cette rencontre. Le démiurge, lui, ne voit aucun hasard dans cette rencontre. Il aurait même pu la prévoir à l’avance. Il entendait a priori qu’elle était inévitable. Cette certitude, il ne l’a eue que quelques instants avant la fatidique collision. Du reste l’a-t-il eue. Et ce faisant, plus aucun hasard ne pouvait expliquer cette rencontre à ses yeux. L’on voit bien ici que la notion de hasard est toute relative. Penser le hasard nous conduit au déterminisme. Le déterminisme est un concept philosophique qui a pour vocation de montrer que les événements comme les comportements humains sont liés et déterminés par la chaîne des événements qui les ont précédés. En clair : l’effet papillon ! Spinoza est le grand théoricien du déterminisme. Voici ce qu’il écrit dans L’Ethique : « Les Hommes se croient libres pour cette seule cause qu’ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par où ils sont déterminés ». L’idée de hasard vient donc de notre ignorance à entrevoir tous les paramètres qui engendrent malgré nous nos actions. Cette ignorance, nous l’appelons par confort hasard. Nous avons alors la sensation d’être libre. Mais en réalité, rien de ce que nous faisons n’est l’objet de notre libre-arbitre. Il en va de même des événements qui parsèment nos vies.
Un autre exemple peut parfaitement illustrer cette idée que le hasard est relatif. Il s’agit du film de Peter Weir : The Truman Show. Ce long-métrage raconte l’histoire de Truman Burbank dont la vie paisible est en réalité l’objet d’un immense spectacle de télé-réalité. Tous les amis de Truman, sa famille, ses voisins et les autres habitants sont en réalité des acteurs. Depuis sa naissance, la vie entière de Truman est scénarisée à son insu. Le metteur en scène de cette gigantesque farce est un homme du nom de Christof, campé par Ed Harris. Truman pense mener sa vie en homme libre. Il croit que les événements qui lui arrivent sont l’œuvre du hasard et qu’il agit en réponse à chacun d’eux en vertu de son libre-arbitre. Mais Truman se croit libre parce qu’il ignore que Christof tire les ficelles de sa vie. Truman croit fermement au hasard. Christof, en tant que maître du jeu, ne voit bien évidemment aucun hasard dans la vie de Truman lequel finira par le comprendre lorsqu’il saisira qu’il était la marionnette d’un jeu télévisé (une analogie serait à faire avec le mythe de la caverne de Platon).
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Le hasard n’est qu’une loi inventée par l’Homme pour pallier son ignorance. C’est un angle mort de son savoir, une perspective, un point de non-vue. Arnaud et Lucie, comme Truman Burbank croient au hasard car ils n’ont aucune connaissance des millions d’événements et paramètres qui président en réalité à leur destinée et leur font adopter tels comportements ou prendre telles décisions. Et c’est sans compter avec leur histoire, leur éducation ou encore leur culture. Bref, ce qui nous arrive n’est jamais vraiment le fruit du hasard, mais davantage la somme des causes qui orientent nos actions dans un sens plutôt que dans un autre. Le hasard est une lacune en sursis…
Victor Petit
PS : Quant au coup de foudre, Schopenhauer nous dit qu’il n’est qu’un subterfuge de la nature pour contraindre la femme et l’homme à procréer, malgré eux. Le coup de foudre n’existerait pas ? C’est ce que disent les si peu romantiques phéromones !
Mes raisons de ne pas croire au hasard sont un peu plus farfelues mais on se rejoint.
Au fait, c’est bien que tu dis mis des catégories sur ton site, ça fluidifie la lecture et c’est plus engageant pour les lecteurs qui te découvrent. Maintenant, il faudrait que tu optimises ton référencement. Si tu veux, je pourrais t’expliquer un peu comment faire ! Gros bisous
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