La morale précède le droit

Temps de lecture : 2min40.

       Dans mon article sur la franchise, j’indiquais que, d’une certaine manière, la morale précède le droit. Dit autrement, nous agissons non en vertu des seules lois, mais en premier lieu en vertu de la morale (celle que l’on se fixe dirait Kant, celle du corps social dirait Aristote). Si je ne tue pas mon prochain, c’est non parce que j’ai peur d’être pris, jugé et condamné en vertu du droit, mais bien davantage parce que la morale me l’interdit. Le droit n’est qu’une modalité coercitive de la morale au service du contrat social. Notre société libérale rejette cette idée et fait du droit l’alpha et l’oméga de nos comportements. Tout débat politique et sociétal exige que la notion de morale soit écartée au profit d’une neutralité dont le but est de traiter ladite question sous deux angles : la liberté et l’égalité. Le mariage pour tous, à titre d’exemple, est présenté comme un enjeu de liberté (les couples homosexuels doivent avoir le droit de se marier) et d’égalité (les couples homosexuels doivent avoir les mêmes droits que les couples hétérosexuels). Ce raisonnement, qui écarte l’idée de moral, révèle une faille. C’est que si seules la liberté et l’égalité comptent, pourquoi des personnes désireuses de se marier à plusieurs n’auraient pas le droit de le faire ? Parce que la société n’accepte pas moralement la polygamie. Où l’on voit que la morale ne doit être exclue d’aucune question tant elle en fait partie intégrante.

         Hélas, combien de débats font l’objet de ce poncif lapidaire : « le seul cadre, c’est la loi » ? L’unique principe qui vaille serait que tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. L’affaire des chasseurs du Super U de l’Arbresle démontre précisément l’inverse. Ce couple posait fièrement et publiquement sur les réseaux sociaux aux côtés des bêtes sauvages qu’il avait abattues en Afrique. La pratique est pourtant pleinement légale. Rien n’interdit aucun français de partir en Afrique pratiquer la chasse au gibier sauvage. En théorie, les mêmes qui expliquent que le mariage pour tous ou encore le port du voile sont des pratiques qui ne doivent être discutées que relativement à la loi, devraient donc accepter sans sourciller que ce couple de chasseurs aille tuer des léopards ou des hippopotames. Or, l’affaire a généré une vague unanime d’indignation, à tel point que l’enseigne U a été contrainte de se séparer du couple. C’est donc au nom de la morale, et non du droit, que la sanction a été prononcée.

       Il faut garder une certaine cohérence. On ne peut pas, comme je le fais, avancer l’idée d’une justice morale d’un côté, et refuser de l’autre qu’au nom de celle-ci, une sanction soit prononcée. Cela étant, si une quelconque forme de sanction est ici justifiée, je ne peux me résoudre à accepter l’étalage public qu’a engendré cette polémique. La divulgation ad nauseam des visages et identités des deux protagonistes a tenu d’une forme d’écartèlement en place publique qui m’a dérangé. Je pense que la honte suscitée par l’indignation générale eût largement servi de peine au-delà de la perte de leur emploi (mais l’enseigne U pouvait-elle faire autrement ?). Imaginons un homme couard, lâche et égoïste. S’il pourrait ne jamais outrepasser la loi, nul doute que réunir ces trois tares le plongeraient dans un abîme de solitude, lequel serait la sanction prononcée par le corps social pour son immoralité. Cette sanction eût largement suffi pour les chasseurs du Super U.

*

       Quoi qu’il en soit, ce fait d’actualité montre parfaitement toute l’insuffisance du droit pour régir la vie en société. Nous avons besoin de morale et il n’est aucune honte de l’évoquer. Qu’il s’agisse de la GPA, du port du voile comme de la chasse au gibier sauvage, la morale précède le droit.

Victor Petit

2 commentaires

  1. Déjà, si c’est légal de chasser des hippopotames et léopards, c’est quand même sacrément dégueulasse de s’autoriser à le faire sachant que ce sont des espèces en danger.

    Et si leur cruauté n’avait pas été relayée à foison, leur sanction étalée en place publique, personne n’aurait su qu’y a vraiment de nos jours encore des enculés qui font ça tous les jours. Des gens qui se payent des billets d’avion pour buter des lions et des girafes et faire des photos avec leurs trophées. Beaucoup de gens vivent dans la stratosphère et n’ont aucune conscience que cela existe. Ils savent pour les braconniers, pas pour le sport de riches qui s’emmerdent et repoussent les limites de la morale justement.

    Même si c’était sans doute trop, c’était nécessaire. Ces gens là ne vont même pas faire de prison, même pas payer d’amende. Alors, c’est bien fait. Pardon, j’ai aucune pitié pour les pilleurs de la nature.

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