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Il va falloir s’y faire. Il y a des choses que l’on peut dire. Ou plutôt que l’on doit dire. Et d’autres que l’on doit taire. Il faut être favorable à l’ouverture totale des frontières. En langage « attalien », on dit no borders. Il faut détester Trump, Salvini et Orban. Il faut considérer le voile comme relevant d’un simple bout de tissu dont la légitimité réside dans le seul consentement des femmes à le porter. On peut même s’autoriser une fantaisie, comme certains féministes, en estimant qu’il est un symbole de libération des femmes. Il faut rêver de voir Eric Zemmour écartelé sur la place publique. Il faut moquer le Brexit et les méchants anglais fermés sur eux-mêmes. Il faut vénérer Greta Thunberg comme la réincarnation du Christ. Et il faut être favorable à la PMA et à la GPA, sans condition. Toute forme de méfiance à l’égard de ces sujets est désormais impossible. La philosophe Sylviane Agacinski en a fait l’amère expérience en voyant sa conférence à l’Université Montaigne de Bordeaux du 24 octobre annulée.
Cette conférence avait pour thème « L’être humain à l’époque de sa reproductibilité technique ». On est encore loin de l’apologie du 3ème Reich… D’autant que le positionnement de la philosophe à l’égard de la marchandisation du corps est connu depuis de nombreuses années. Refusant de ployer le genou devant l’impératif de prosternation devant les nouvelles formes de procréation non naturelles exigées par le progressisme sociétal, Sylviane Agacinski continue d’affirmer ses craintes, livre après livre, conférence après conférence. Oui mais voilà, Sylviane Agacinski se voit menacer de censure. Parce qu’elle considère que le progrès n’est pas nécessairement un pas en avant vers le bien, et que la raison doit toujours disposer du plus béat optimisme, la voici privée de parole. Bienvenue dans le monde merveilleux du progrès… et de la censure.
Cette censure s’exerce de deux façons. La première s’organise sous la forme d’une diabolisation dudit propos. En l’occurrence, dans le cas d’Agacinski, la philosophe se fait traiter d’homophobe et de transphobe en raison même de son avis sur la PMA et la GPA. Ici, la censure s’opère sur la possibilité même d’un avis contradictoire par l’insulte ou le chantage affectif, soit l’homophobie et la transphobie. En réalité, tout suffixe phobe accolé à un mot est une OPA sur la liberté d’expression autant qu’une condamnation au silence. Cette diabolisation empêche tout le monde de penser, des plus humbles aux plus illustres. Qui prendrait le risque d’être pointé du doigt, par ses amis, sa famille, à son travail, à la première prise de position divergente ? Dans 1984, Orwell censurait les mots pour censurer les idées. Notre époque préfère, pour l’instant, diaboliser les idées. Raphael Enthoven en avait fait l’amère expérience quand, avant même d’avoir prononcé son discours à la Convention de la Droite, il fut soupçonné de « pacte avec le diable conservateur ». Ce qui ne manquait pas de piquant tant son propos fut critique à l’égard de ses hôtes. Peut-être cette réaction radicale de la gauche provenait d’une incapacité à penser le débat démocratique comme la confrontation de plusieurs idées divergentes… Cette vision manichéenne de la démocratie est biaisée. D’un côté les penseurs progressistes du bien. De l’autre les penseurs conservateurs du mal. Car Sylviane Agacinski est une conservatrice de gauche. Elle se méfie du progrès. Pour elle, la crainte est bonne conseillère et le progrès doit s’inscrire dans les longues durées, sans intervention du corps législatif, à la manière de la « providence » dont parlait Joseph de Maistre. Selon elle, l’Homme doit se montrer raisonnable et rationnel en sachant se doter de limites face au fanatisme de l’auto-engendrement. Rien de surprenant à ce qu’elle soit clouée au pilori au même titre que bien des figures historiques de gauche, non politiques, de Régis Debray à Elisabeth Badinter en passant par Michel Onfray ou José Bové. Du reste, on a du mal à imaginer de l’homophobie et de la transphobie chez ces figures.
La censure s’exerce d’une deuxième façon : par la violence. Hélas, ce n’est pas la première fois que cela arrive et nul doute que ce ne sera pas la dernière. On se souvient de la conférence d’Alain Finkielkraut donnée à Sciences Po Paris le 23 avril dernier, sous protection policière suite à des menaces de groupuscules « antiracistes ». Ces groupuscules de plus en plus violents, qui gangrènent l’Université française, sont en réalité très représentatifs de cette gauche fascisante qui à l’instar des lobbies LGBT à l’initiative de l’annulation de la conférence de Sylviane Agacinski, agissent comme des organes de régulation de la parole.
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Dans une démocratie, aucun débat ne saurait être impossible à mener. Hélas, dans la France de 2019, Voltaire est mort. Et la démocratie aussi.
Victor Petit
Jolie présentation Merci
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