LE SLIP FRANCAIS baisse son froc

Temps de lecture : 3min30


        L’entreprise Le Slip Français a été l’objet d’une polémique riche d’enseignements la semaine dernière. En résumé, deux salariées de cette société se sont filmées lors d’une soirée privée – dont le thème était « Africa » – grimées en noir, riant aux éclats devant les roulades d’un autre convive déguisé en singe au son de la musique de Yannick Noah. La vidéo de cette soirée visiblement fortement alcoolisée n’a pas manqué d’alimenter les réseaux sociaux sur fond de dénonciation de « blackfaces » et autres clichés racistes. Je ne jugerai pas ce qui relève peut-être d’un humour douteux. Quoi que je serais très heureux que celui qui n’a jamais plaisanté à l’égard d’un irlandais aux cheveux roux, d’un ch’ti assimilé à l’alcoolisme ou d’un belge à la pédophilie, d’un asiatique aux yeux en 16/9ème, d’un grec certainement homosexuel, d’un français sale et arrogant ou encore d’un péruvien jouant de la flute de pan me jette la première pierre… Il y a ceux qui plaisantent discrètement, et il y a les autres qui comparaissent au tribunal des réseaux sociaux par inconséquence et naïveté. Pour ma part, je me retiens donc de les juger de façon péremptoire.

           Du reste, cela aurait pu en rester là. Mais c’était sans compter le zèle des délateurs lanceurs d’alerte qui mentionnèrent l’enseigne Le Slip Français, l’employeur commun de deux participants à cette soirée. Le Slip Français réagit alors immédiatement, promettant, par la voix de son fondateur Guillaume Gibault, des sanctions exemplaires. « Moralement, c’est contraire à nos valeurs » a-t-il dit. Aussitôt dit, aussitôt fait. Des mises à pied à titre conservatoire ont été prononcées avant d’éventuelles procédures de licenciement. Or la question qu’on peut se poser, c’est celle de l’implication, voire de l’apparente responsabilité de cette entreprise dans cette histoire. Car des centaines de tweet et de messages facebook ont demandé au Slip Français la tête des deux employés figurant sur la vidéo, et l’entreprise s’est exécutée. Les réseaux sociaux sont devenus des auxiliaires d’injustice comme de puissants lobbies moraux. Le maccarthysme 2.0 en marche. Car si cette soirée s’est déroulée dans un cadre strictement privé, en quoi l’entreprise pour laquelle travaillent deux des protagonistes de cette polémique devrait-elle être incriminée ? En quoi est-elle responsable ? S’il y a eu faute, c’est au pénal d’en décider. Le code du travail n’a rien à voir là-dedans.

        La dérive moraliste de notre société est parfaitement incarnée dans cette polémique. On a même vu sur Twitter des appels au boycott de l’enseigne. On atteint le « sommet du gouffre » comme dirait Woody Allen. Si demain, un employé d’EDF devait prendre un couteau et faire un carnage dans la rue, devrait-on boycotter l’électricité ? Alors oui, on peut poser la question du préjudice subi par l’enseigne, lequel préjudice, s’il était démontré, pourrait probablement justifier un licenciement. C’est ce s’était passé pour Dior lorsque la maison de couture avait licencié John Galliano après l’un de ses nombreux déboires racistes, lesquelles avaient pu profondément entacher l’image de la célèbre marque. Toutefois, la différence notoire est que John Galliano est (était ?) un personnage public, dont l’aura planétaire était étroitement liée à la marque Dior et vice versa. Rien de tel dans l’affaire du Slip Français.

       En répondant immédiatement à la polémique, Le Slip Français a cru bon répondre favorablement à cet appel à la moralisation de la sphère de l’entreprise. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Le Slip Français cède aux caprices des SJW (les Social Justice Warriors) et du tribunal des réseaux sociaux (une manière de Karma peut-être…). Là où ce tribunal comme l’enseigne tricolore se trompent, c’est dans le fait de croire que l’Entreprise est morale. La seule morale de l’Entreprise est celle du profit (ce qui n’est ni bien, ni mal). Ce qu’a fait Le Slip Français, c’est faire amende honorable pour une faute qu’elle n’a pas commise, afin d’éteindre le bad buzz au plus vite. Dans quel but d’après vous ? Limiter la casse financière. Il n’y a ici qu’un calcul. Si vraiment l’entreprise Le Slip Français avait voulu agir de façon morale, elle aurait revendiqué son innocence dans une affaire qui relevait de la vie privée de deux de ses salariés et elle aurait refusé de commenter la polémique en raison du fait qu’une opinion est privée, et qu’elle ne peut être sanctionnée que par le code pénal. Elle aurait même pu défendre sa position en arguant du fait que, si l’entreprise devait adopter des sanctions à l’égard de deux de ses salariés en raison de leurs opinions privées à la faveur des pressions de l’opinion publique, ce serait au détriment de la capacité du droit du travail à protéger les intérêts de ces derniers. Alors là, Le Slip Français aurait agi de façon morale.

     En résumé, la pression moraliste exercée par les réseaux sociaux devient un complément, sinon un supplétif du droit de travail. Les politiques, surtout à gauche, devraient s’en offusquer férocement. Car le comble pour une République laïque, serait de voir surgir le retour de la Sainte-Inquisition au nom du progressisme moral. On y est presque.

Victor Petit

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