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L’art au XXIème siècle consiste en une synthèse du nihilisme postmoderne. Cela pourrait paraître surprenant. Mais à y regarder de plus près, l’art en présente tous les symptômes. Du relativisme à la déconstruction des normes, du rejet de toute échelle de valeurs à l’exaltation du néant en passant par l’hypertrophie des égos, l’art s’est mué en une gigantesque imposture idéologique. Petit tour d’horizon non exhaustif en trois parties, dont voici la troisième et dernière.
Au même titre que les industries agro-alimentaires, du textile ou encore de l’automobile, la postmodernité a fait de l’art un simple produit de grande consommation. On dit d’ailleurs qu’il existe une industrie de l’art, ou encore une industrie de la culture. Or, parce qu’il est devenu un produit de grande consommation, l’art ne relève plus de la culture ; sa vocation étant davantage de répondre à un besoin de culture. Mais ne nous y trompons pas. Parce que la culture est relativisée, parce que tout se vaut, parce que l’idée même que puisse exister une échelle de valeurs permettant de distinguer ce qui tient de l’art de ce qui n’en tient pas serait fasciste et liberticide, la postmodernité a fait de la culture (donc de l’art) un simple outil de divertissement de masse. De sorte que si les formes d’art plus classiques sont désormais ringardisées – qu’il s’agisse de littérature, de musique, de peinture ou encore de poésie –, ce n’est pas tant à l’aune de la déconstruction des codes et des normes que promet la postmodernité, que parce que ces formes exigent intellectuellement bien davantage des hommes pour se les approprier et en tirer parti. La culture n’est pas un divertissement. Sans aller jusqu’à dire qu’elle doit être un sacerdoce, il est honnête de concéder qu’accéder aux bienfaits de la culture demande du travail, de l’abnégation et de la patience. C’est-à-dire tout ce que ne requière pas le divertissement, lequel doit procurer un plaisir aussi rapide à conquérir que fugace.
C’est précisément parce que l’art tient désormais du divertissement (par relativisme, par facilité oisive et par démagogie) qu’il est devenu un produit de grande consommation. Et c’est parce qu’il a renoncé à l’exigence et à la sélection par idéologie égalitariste qu’il s’est appauvri au point de considérer un album de Rihana ou d’Angèle comme une œuvre d’art au même titre qu’un opéra de Puccini ; le Tree de McCarthy (l’immonde plug anal géant installé Place Vendôme en 2014) comme une œuvre d’art au même titre que L’âge mur de Camille Claudel ; ou encore un tag de « l’artiste de rue » (délinquant) Banksy comme une œuvre d’art au même titre que L’abbaye dans un bois de Friedrich. Bref, de l’art pour tous, mondialisé, communicable, éphémère et surtout commercialisable à grande échelle[1].
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Plus que tout, pour garantir sa visibilité, l’art postmoderne doit être conforme. Conforme aux besoins bien entendu : il faut de l’art consommable rapidement (d’où la prépondérance d’internet et des nouveaux supports de communication comme les smartphones et les tablettes…). Conforme aux nouvelles modes technologiques (conversion de l’art au numérique, aux images de synthèse, à la réalité virtuelle…). Et surtout conforme à l’idéologie dominante. En effet, pour être consommé en masse, l’art se doit de ne surtout pas subvertir la doxa postmoderne faite de progressisme, de racialisme, de promotion de la diversité et d’idéologie du genre[2]. Que l’artiste soit chanteur, musicien, peintre, écrivain ou cinéaste, qu’il n’espère pas le succès en s’engageant sur une voie dissidente. La culture tient désormais de la « moraline » selon le mot de Nietzsche, soit une bien-pensance sans fondement autre qu’une idéologie manichéenne, totalitaire et inquisitoriale dictée par le progressisme. Pour être bankable, c’est-à-dire commercialisables, les œuvres doivent servir le dogme bien-pensant. De sorte que dorénavant, aucune œuvre – médiatisée j’entends – ne saurait être subversive autrement que dans sa forme. Le fond, lui, doit se parer inévitablement des atours de la morale d’aujourd’hui, laquelle morale fait même office d’argument commercial. En ce sens, la version réécrite de Carmen, mis en scène par Léo Muscato, proposait, à la demande du directeur de l’opéra de Florence, une fin inédite au cours de laquelle c’est Carmen qui tue Don José. Le directeur de l’Opéra de Florence expliquait son choix par le fait « qu’à notre époque marquée par le fléau des violences faites aux femmes, il est inconcevable qu’on applaudisse le meurtre de l’une d’elles ». Or il y a là une terrible erreur de jugement. Le public qui vient voir Carmen applaudit une œuvre. Il n’applaudit pas le meurtre d’une femme…
De même que l’industrie musicale, l’industrie du cinéma est vampirisée par le politiquement correct. Et à ce petit jeu, la France fait figure « d’exception culturelle » tant elle consent à financer et promouvoir les seuls films qui vont dans le sens de l’idéologie. Des Misérables du repris de justice Ladj Ly à La vie d’Adèle de Kechiche, tout ce qui participe de la culture de l’excuse, de la promotion de la diversité, de l’idéologie du genre, de la transidentité, de l’homosexualité et de la haine de la France, bref, tout ce qui peut surfer sur les poncifs éculés de la postmodernité que l’on nous resserre ad nauseam est à coup sûr en haut de l’affiche. Pour bénéficier des subventions du CNC, mieux vaut se tenir du bon côté du spectre politique et idéologique. Car on peine à imaginer une subvention accordée à un cinéaste qui aurait pour projet de réaliser un film sur la défense des frontières nationales… La réalisatrice Cheyenne Carron a bien essayé, elle dont les films traitent de sujets peu conventionnels comme le rapport à la foi, le racisme anti-blanc ou encore l’attachement à la patrie. En douze longs métrages, le CNC ne lui a jamais versé le moindre centime. Le CNC préférant accorder ses faveurs aux films moralistes pro-migrants et LGBT teintés de haine de soi.
Le rêve et le spectacle n’ont plus leur place dans le cinéma français. Il faut « délivrer un message ». Voilà pourquoi les films français racontent des histoires du quotidien, misérables, banales et déprimantes. Voilà pourquoi les films français, portés par des cinéastes et acteurs intellos, brossent des portraits de la vie quotidienne. Les personnages des films doivent nous ressembler. Comme si l’on payait (dix euros) une place de cinéma pour voir le sosie de son voisin frapper sa femme ou mépriser son fils qui lui fait son coming-out. Le cinéma français n’a pas pour vocation de faire rêver. Il doit divertir en inoculant la morale dominante. Il doit rééduquer par la culpabilisation. Chers français, repentez-vous de vous être livrés à l’esclavage et à la colonisation, repentez-vous d’être xénophobes, racistes et islamophobes, repentez-vous d’opprimer les minorités sexuelles et les pauvres. L’histoire de France regorge de mythes et de légendes. Nous préférons les laisser aux américains et proposer des films de propagande masochiste. Dunkerque, Le dernier samouraï – lequel était en réalité français –, La légende du masque de fer, Marie-Antoinette, Le roi – qui raconte la bataille d’Azincourt –, 1917, bientôt Napoléon (par Ridley Scott), laissons notre (propre) grandeur à Hollywood. Quelle tristesse !
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Hélas, le cinéma américain sombre tout autant dans le politiquement correct et la moraline. A compter de 2024, les Oscars ne récompenseront que les films qui se seront pliées aux exigences de représentation de la diversité établies par ladite académie. Un pas de plus vers le totalitarisme idéologique que la France ne tardera pas à faire d’ici quelques années. Delphine Ernotte, patronne de France Télévisions a d’ailleurs indiqué que « la diversité sera le fil route de [son] mandat ». La culture sera bientôt définitivement sacrifiée sur l’autel de la moraline. Le projet est en marche…
Victor Petit
[1] Quoique l’Art Contemporain est au contraire un marché de niche. C’est l’art des métropoles embourgeoisées, de la Silicon Valley et des bobos qui votent pour Anne Hidalgo. Toutefois, il demeure empreint de relativisme, de nihilisme et a, autant que l’art de masse (celui de Rihana, de Marc Lévy et du cinéma américain), vocation à courir le monde avec le profit pour logique première.
[2] A noter que Netflix, plateforme de vidéos à la demande et chantre de la très conformiste Silicon Valley, est probablement l’outil de diffusion le plus actif de cette doxa.