Sur la polémique de l’islamo-gauchisme

               Il y a quelques jours, la Ministre de l’Enseignement Supérieur, Frédérique Vidal, a demandé au CNRS de réaliser une enquête portant sur « l’islamo-gauchisme » à l’université. Aussitôt formulée, la requête n’a pas manqué de plonger la Ministre dans la tourmente. Au cœur d’une vive polémique alimentée par des politiques, journalistes ou encore sociologues de gauche (pléonasme ?), Frédérique Vidal s’est vue rétorquer par le CNRS que l’islamo-gauchisme ne constituait pas une « réalité scientifique[1] ». Que le CNRS dise cela est assez fort de café quand on sait que le prestigieux Centre National de la Recherche Scientifique publie des travaux portant entre autres sur la « grossophobie[2] », la « blanchité[3] » ou encore la « fragilité blanche » (le tout en écriture inclusive), et se targue de disposer d’un « Laboratoire d’Études de Genre et de Sexualité[4] ».

               Convenons-en, l’islamo-gauchisme n’est pas une réalité scientifique ; mais pas plus que la blanchité ou les études de genre, lesquelles traduisent, autant que le concept d’islamo-gauchisme, un prisme idéologique qui tient en réalité du militantisme. « Si le gouvernement a besoin d’analyses, de contradictions, de discours scientifiques étayés pour l’aider à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce, les universités se tiennent à sa disposition » a indiqué la CPU, la Conférence des Présidents d’Université. Quand on se plaît à discourir de la fragilité blanche et de la grossophobie, il est de bon ton de rester mesuré quant aux représentations caricaturales des uns et des autres.

               Évidemment, nombre de politiques, de journalistes ou encore de sociologues ont cru bon vociférer et hurler leur indignation : l’islamo-gauchisme n’existerait pas et constituerait une manœuvre stratégique visant à interdire certaines opinions, à stigmatiser des champs de recherche bref, à nier la démocratie. Venant de personnes passant leur vie à dénoncer les « discours de haine », à invoquer « le bruit des bottes », à en appeler aux « heures les plus sombres de l’Histoire » ou encore à dénoncer la « fachosphère » au premier signe de contestation de leurs idées, c’est assez cocasse.

               Alors de quoi l’islamo-gauchisme pourrait bien être le nom ? En premier lieu, d’une politique. En 2012, le think tant de gauche Terra Nova produisait une note qui fit date. Face au constat que les classes populaires désertait la gauche pour rallier la droite, et surtout l’extrême-droite, Terra Nova préconisait au Parti Socialiste de délaisser l’électorat prolétaire pour investir massivement dans l’électorat des banlieues. « La France de la diversité est presque intégralement à gauche […] Le rapport de force y est extrême, de l’ordre de 80-20 voire 90-10 […] La population des Français issus de l’immigration est en expansion et en mutation identitaire : en 2006, près de 150.000 acquisitions de nationalité française ont été accordées […] ; dans l’hypothèse d’une continuation à l’identique, ce sont entre 500.000 et 750.000 nouveaux électeurs, naturalisés français entre 2007 et 2012, qui pourront participer au prochain scrutin présidentiel sans avoir pu participer au précédent […] C’est un fait politique important : la France de la diversité est aujourd’hui la composante la plus dynamique, tant électoralement que démographiquement, de la gauche en France [5] ». On ne peut que déplorer le cynisme incroyable de ces mots, lesquels devaient inspirer le programme politique de François Hollande, mais également la ligne conductrice de l’extrême-gauche de Jean-Luc Mélenchon, lequel commençait peu à peu renier son laïcisme d’antan. C’est ainsi que la gauche délaissa le combat social au profit de la défense d’une ligne ethno-religieuse.

               Ce que l’on nomme « islamo-gauchisme », c’est cette tendance d’une certaine gauche (probablement majoritaire) qui convoite le vote ethno-religieux, à pratiquer la compromission, notamment avec l’Islam radical, à des fins électorales. Mais plus généralement, cette tendance est partagée par tous ceux qui tirent profit de ce business communautaire, qu’ils s’agissent des politiques bien sûr, mais aussi des polémistes, des journalistes et même des sociologues… Du reste, on ne peut séparer le concept d’islamo-gauchisme de celui-ci « d’islamophobie ». Car la notion d’islamophobie, qui a pour vocation de mobiliser le vote commentaire musulman à travers l’idée fallacieuse que la France « stigmatiserait » l’Islam, est la clé d’entrée des politiques islamo-gauchistes vers la politique de l’accommodement raisonnable. De même que l’islamophobie est tout autant la clé d’entrée des journalistes et autres sociologues et polémistes dans le gotha du business victimaire.

               Aussi, cette vision de la société construite sur un prisme ethno-religieux dominants/dominés (les blancs dans la posture des dominants, les non-blancs et musulmans dans la posture des dominés), selon la vieille dialectique marxiste, a largement investi le champ universitaire par le biais des études décoloniales et postcoloniales importées des États-Unis. De façon très synthétique, ce champ d’étude dit qu’au sein des anciennes nations coloniales (occidentales) s’opérerait un maintien des inégalités socio-culturelles sur une base ethnico-religieuse avec pour victimes de ce maintien les descendants (ou revendiqués pour tels) des populations colonisées. Ce système reposerait sur une forme d’intériorisation inconsciente de ce système inégalitaire. De sorte que les blancs, dominants, produiraient inconsciemment des mécaniques inégalitaires et racistes envers les minorités ethnico-religieuses, lesquelles, en tant que dominées de façon également inconscientes, seraient incapables de se révolter contre ce système. Cette pensée postule que les individus ne sont pas tant autonomes qu’ils sont déterminés de génération en génération par des mécaniques qui leur sont transmises inconsciemment. Ainsi, en tant qu’ancien empire colonial, la France demeurait islamophobe, et continuerait d’oppresser les musulmans. Idée qui fait dire notamment à Houria Bouteldja, à qui Mediapart a longtemps offert une tribune, que le terrorisme islamiste n’aurait aucun fondement religieux, mais qu’il relèverait simplement d’un réflexe défensif dans le cadre de la « crise postcoloniale ».

               Précisions ici que les thèses décoloniales et postcoloniales tiennent de l’idéologie au sens de ce mot entendu par Karl Popper comme une idée dont la réfutation est proprement impossible, car comprise dans son propre système. Dit autrement, quiconque critique ces thèses est accusé d’être un allié du système colonial autant qu’un raciste par nature s’il est blanc…

               En réalité, Frédérique Vidal a pointé un sujet qui existe : l’emprise de plus en plus prégnante, dans les universités d’une certaine idéologie antiraciste intersectionnelle (la convergence des luttes des minorités) importée des États-Unis. Beaucoup s’inquiètent de ces dérives, au CNRS[6] comme à Sciences Po[7] ou encore à la Sorbonne ou Danièle Obono, figure des Insoumis et proche des milieux indigénistes a été nommée au conseil d’adminstration de l’UFR de Sciences Politique de Paris I. Car si l’islamo-gauchisme constitue un concept politique, les études décoloniales et postcoloniales semblent au moins autant relever du gadget militant dont le « label scientifique » est censé garantir le totem d’immunité. Frédérique Vidal a donné un coup de pied dans la fourmilière. Un certain militantisme déguisé en science n’apprécie pas que l’on remette en question ses certitudes.

               Une idée peu cartésienne de la démarche scientifique…


[1] https://www.ouest-france.fr/education/enseignement/islamo-gauchisme-la-ministre-frederique-vidal-dans-la-tourmente-7160997

[2] https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02434496/document

[3] https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02434496/document

[4] https://legs.cnrs.fr/

[5] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/09/18/01016-20140918ARTFIG00316-quand-terra-nova-conseillait-au-ps-d-investir-sur-le-vote-des-immigres-francais.php

[6] https://www.lexpress.fr/actualite/societe/les-obsedes-de-la-race-noyautent-le-cnrs_2111788.html

[7] https://www.valeursactuelles.com/societe/des-etudiants-de-sciences-po-denoncent-lemprise-racialiste-et-indigeniste-dans-leurs-cours-127361

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