C’est un « livre libérateur » écrit les Inrocks. Une critique aussi dithyrambique ne pouvait qu’attiser ma curiosité. Alors de quoi s’agit-il ? Et quelle parole a donc été libérée cette fois-ci ?
Renée Greusard est journaliste, et le livre libérateur qu’elle a écrit fait suite à son expérience de maman. Quel est donc l’objet de cette catharsis ? le consentement à la maternité. Partant de là, nous pourrions penser à un déni de grossesse, sinon au pire, à un viol ou autre monstruosité de cet acabit.
Il n’en est rien. Pour Renée Greusard, son défaut de consentement proviendrait d’un manque d’information relatif à la maternité. « Je ne crois pas qu’on puisse consentir à quoi que ce soit sans être informée, écrit-elle. Si je me sens prête à vous parler, c’est que mon propre consentement à la maternité n’a pas été éclairé. J’aurais aimé qu’on me prévienne plus et qu’on me dise la vérité. »
En réalité, il n’y a rien de surprenant. Le consentement traduirait la liberté de chacun dans le fait de cocontracter, et l’égalité précisément garantie par le marché librement conclu.
« J’ai été frappée par l’absence d’informations qu’on aurait dû me donner avant mon accouchement, qu’il s’agisse de la disponibilité permanente, de l’absence d’espace et de temps pour soi, de la question du sommeil ou encore des crises de l’enfant. J’aurais voulu savoir tout ça avant d’avoir mon fils. […] Je me rends compte que je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait. [… On envoie les femmes au charbon sans leur dire ce qui les attend. » On croit rêver. Pour autant, donnons-lui crédit d’une chose. Il faut bien avouer qu’il y a un déficit toujours plus grand de transmission des savoirs de parents à enfants. Comme dans beaucoup de domaines, du reste, on tend de plus en plus à s’appuyer sur l’État ou les fameux « experts » en tout genre (corps médical, psychologues…). Mais alors, qu’on en veuille à ces parents démissionnaires plutôt qu’aux prétendues carences de la société.
En réalité, les livres traitant du sujet sont légion – les enjeux et responsabilités de la maternité -, tant les témoignages abondent et tant nombreuses sont les recommandations médicales. Renée Greusard prétend que le discours dominant fait l’apologie de la maternité, niant les difficultés que constitue le fait d’avoir un enfant. Au contraire, il est toujours plus à la mode de dire que la maternité est un frein à l’épanouissement individuel, et qu’elle ne figure en rien la finalité d’une vie. Dans le même sens, la dépression post-partum est un syndrome largement traité de même que le phénomène des mères qui n’aiment pas être mères est bien connu et documenté.
« Éduquer un enfant devient une valeur à part entière, d’accomplissement et de réussite sociale. Et c’est comme ça qu’on se retrouve à sublimer ce goal qu’est devenue la parentalité. » Faire des enfants et les éduquer n’est pas un but en soi. Mais c’est juste la condition de la perpétuation de la vie humaine, c’est-à-dire la préparation du futur. Il est assez légitime de considérer que produire l’avenir a plus de fond que lutter pour l’écriture inclusive ou l’usage du mot iel. Nombreuses sont les voix de gauche qui considèrent que tout passe par l’éducation. C’est sans doute vrai. Mais dès lors, comment ne pas considérer qu’élever un enfant, et faire de lui un être de sagesse et responsable, n’est pas une valeur à part entière ?
A quoi s’attendait Renée Greusard et toutes celles qui, attristées que leur petit carré individuel se soit rétréci, reprochent à la société de ne pas les avoir assez prévenues ? Un gosse déjà propre qui se fait son petit déjeuner tout seul ? diplômé de Sciences Po Paris avec une promesse d’embauche chez Mediapart ?
« J’ai beaucoup douillé en devenant mère et j’ai été scandalisée de découvrir qu’on envoie les femmes en enfer sans les prévenir en amont de ce qui les attend ! » Dans quelques années, le fils sera content de découvrir qu’il aura été le démon de sa mère. Et la journaliste d’ajouter que « les enfants sont tellement en demande d’attention et de soins qu’au début, le retour au travail s’apparente à des vacances ! ». Quand tu es journaliste pour Rue89 et le Nouvel Observateur et que tu écris des articles sur les menstruations et la culture punk, je veux bien. Mais quand tu es ouvrière à la chaîne dans une usine, que tu as réalisé les mêmes gestes de façon mécanique toute la journée, tu peux aussi être contente de retrouver ton fils le soir.
« Quand je ne m’occupais pas de lui, j’essayais de me retrouver, de me rencontrer à nouveau. Mon échappatoire, c’était la fête : j’avais le sentiment de me récupérer lorsque j’étais sur le dancefloor. » Renée Greusard avait donc les moyens de s’offrir une baby-sitter ou une nounou, ou la chance de disposer de proches à qui confier l’enfant. Là encore, son indignation est celle d’une bourgeoise qui s’achète les moyens de se plaindre.
« Pour consentir, il faut choisir et pour choisir, il faut être éclairée » dit Renée Greusard. Or ce qu’elle ne comprend pas, c’est précisément que la vie est faite d’expériences : le travail, l’amitié, l’amour… Tant d’objets de déceptions, de frustration voire de désespoir qui valent pourtant la peine d’être vécus et expérimentés. Que serait une vie sans inconnu ? Que serait une vie où rien n’échapperait à l’entendement ? Quel bonheur y aurait-il à vivre une vie sans surprises, même mauvaises ? Qu’apprendrait-on de nous sans les difficultés qui jalonnent nos vies ? Quelle satisfaction éprouverions-nous de n’avoir rien eu à transcender ?
« La bonne question à se poser, c’est “À la fin de ma vie, si je n’ai pas eu d’enfant, est-ce que cela me rendra malheureuse?” À celles qui attendent un enfant, je leur dirais: “Considérez que vous partez à la guerre et préparez-vous en conséquence. Renseignez-vous au maximum, réfléchissez déjà à l’organisation de l’après avec votre conjoint·e et pensez à mettre votre entourage à contribution.”
Remarque n°1 : Aucun être humain ne demeure la même personne toute sa vie durant. S’imaginer qu’à 30 ans, on pensera comme à 80, c’est ne rien connaître de la nature humaine et de la vie en général (les accidents, les réussites, les échecs…). Contrairement à ce que prétend Renée Greusard, il faut vivre et ne pas trop se poser de questions…
Remarque n°2 : La guerre, c’est faire un enfant ? Alors oui, être parent, c’est difficile. Mais de là à parler de guerre… Et puis qui est l’ennemi ? Quant à mettre les autres à contribution (on comprend mieux pour le dancefloor), c’est surtout l’aveu de sa faiblesse, de son incorrection et du fait qu’elle n’y arrive pas. De là à rejeter son échec ou sa désorganisation sur le fait qu’être mère, c’est dur, et que la société ne nous prend pas assez par la main, c’est assez dégradant et affligeant.
En bref, voici une nouvelle lubie qui a pour vocation d’éveiller les consciences et de se victimiser à peu de frais. Nouveau motif de geindre et de se déresponsabiliser en accusant la société de ne pas fournir le mode d’emploi. Pas de doute, on creuse encore…
Victor PETIT